Site du peintre Jeanne Laganne
Biographie > Période abstraite

Nouvelle exposition personnelle en Mars 1955 suivie d’une exposition de groupe, toujours au studio, notamment aux cotés de Debré. 

1955 est une date importante ! C’est en cette année que le style de Jeanne Laganne devient totalement abstrait. L’abstraction que l’on pensait avoir enterrée en 1944 en même temps que Kandinski renait avec « l’abstract expressionnism » et « l’action painting » américains, « l’abstraction lyrique » terme employé pour la première fois par le peintre Georges Mathieu en 1947 à l’ occasion de l’exposition « l’imaginaire », « l’art informel » de Michel Tapié (1951) ou bien encore « le tachisme » du critique Charles Estienne en 1954 .
La critique est abondante, élogieuse : le journal Le Monde, les revue Arts et Cimaises, le nouveau Fémina et même en Italie la revue d’art Il 4 Soli. 
1955 c’est aussi l’année où une nouvelle galerie s’installe rue de Seine : la galerie Stadler.
Rodolphe Stadler est issu d’une famille d’industriels suisses installée à Lausanne. Il fait des études de droit sans grandes convictions. A partir de 1945 il vient de plus en plus souvent à Paris, commence à fréquenter les galeries et découvre la révolution artistique en marche, les peintres dont on parle et ceux que l’on montre, la possibilité d’une aventure totale impliquant l’intelligence sous toutes ses formes, la culture traditionnelle qu’il s’agit de repenser, l’instinct, le goût, y compris celui du risque, voire du scandale... Rodolphe inaugure la Galerie Stadler en 1955 et peut mettre en œuvre son tempérament de découvreur. Son rôle n’est pas d’accueillir les peintres ayant déjà fait leurs preuves, d’être leur imprésario. Il aime découvrir les choses par lui-même et les imposer même si cela doit prendre du temps. A quelqu’un qui s’étonnait de son silence lorsqu’il visitait un atelier, il répondait : «  c’est bien ce que j’attends confusément d’un tableau : qu’il me coupe la parole. » !
Le rapprochement  Laganne-Stadler se fait à nouveau par l’entremise du critique d’art Michel Tapié et aboutit à la participation de Jeanne Laganne à l’exposition de groupe inaugurale de la galerie Stadler en octobre 1955 aux coté de l’américain Jenkins et de l’espagnol Tapiès.

Lors de la première exposition personnelle de Jeanne Laganne en mars 1956 dans cette toute nouvelle galerie, Michel Tapié rédige la préface : «Il est toujours émouvant, sinon stupéfiant, de voir un artiste, après des périodes plus ou moins longues dans lesquelles sa tourbe primordiale se cherche, arriver à cet état natif qui est le cœur même de l’aventure, le moment optimum de l’efficacité, de la potentialisation du possible contenu. Laganne en est à l’un de ces miraculeux moments ou la généralisation abstractive engendre à tous coups son homologue contradictoirement ambigu qu’est la signifiance structurée… ».

Pendant sept ans, de 1955 à 1962, période pendant laquelle, sur le marché de l’art, l’abstraction sous toutes ses formes fut à son apogée, Jeanne Laganne restera chez Stadler.
C’est aussi la période ou Michel Tapié se fait le propagandiste de l’art « autre » à l’échelle mondiale et inclut Laganne dans tous les évènements qu’il organise ou les livres qu’il publie. Michel Tapié est partout et est le premier à sentir qu’il faut faire sortir cette Ecole de Paris du microcosme parisien :
Il fait partie du comité artistique de la fondation Rome –New York Art Foundation (1957)
Il établit le contact avec le mouvement Gutaï au Japon et fait participer des groupes de peintre abstrait américains et européens au festival d’Osaka en 1958 puis en 1960.
Il crée en 1960 à Turin l’ « International Center of Aesthetic Research »
Il organise de très nombreuses expositions collectives à l’étranger, avec ses poulains, ses découvertes, les artistes qu’il a toujours soutenus :
Dortmund, Allemagne (1958)
Turin, Italie (1959, 1960, 1962)
Bochum, Allemagne (1963)
Buenos Aires, Argentine (1964)
« Métaphysique de la matière » Charleroi Belgique (1966)
Mannheim Allemagne (1969)
Il publie « Un Art Autre », « Esthétique en devenir », « Aventure Informelle », « Evidences paroxystiques », « Prolégomène à une esthétique autre » et « Morphologie Autre », avec à chaque fois un chapitre consacré à Laganne et la reproduction d’une de ses œuvres
Il se fait le propagandiste d’une véritable révolution artistique : une nouvelle appréhension, non formelle, de la lumière et des couleurs. L’abstraction lyrique, chaude et joyeuse, s’oppose alors à l’abstraction géométrique, théorisée et froide. Evidemment, le courant de l’envolée lyrique ne sera par le seul représentant de l’art abstrait dans le monde, mais il est le premier historiquement à franchir les limites de l’informel : “Il s’agit d’un mouvement international, plein de l’enthousiasme d’après guerre. Et cette mixité où chacun apporte sa personnalité, sa culture, crée un ciment extraordinaire. Ce sont des survivants, qui veulent avancer, et ils avancent très vite”, explique Patrick-Gilles Persin , critique d'art (écrivain et journaliste dans la presse spécialisée comme dans la presse profane), historien et expert sans être marchand d'art.
C’est enfin la période ou Jeanne Laganne développera sa présence aux Etats Unis, à New-York au travers d’exposions individuelles (1960 et 1962) et de groupe (1961) à la galerie Thibaut.

Ses premières avancées dans le monde de l’abstraction privilégient le geste, le mouvement. Mais très vite se rajoutent deux dimensions : la forme et la matière. La matière était déjà une caractéristique forte des œuvres des années 40, de la période expressionniste notamment, trace de l’influence de Dubuffet. Les formes c’est nouveau, c’est même unique en matière de peinture abstraite ou la plus part du temps le gestuel et/ou la couleur ont été privilégiés. La forme cela semble de plus en contradiction avec la notion même d’abstraction. Pas pour Laganne. Dans un entretien avec François Pluchard publié dans « Combat » on peut lire : « La forme m’intéresse avant tout. C’est la chose la plus difficile. Les rythmes et les couleurs s’appellent l’un l’autre. Le plus difficile est de trouver des formes qui rejoignent la vie sans qu’elles soient ni humaines, ni animales »Son inspiration elle la trouve sur les vieux murs, les crépis, le bitume. Le carnet à la main elle décèle puis croque la réparation du macadam faite sur un trottoir, la restauration d’une paroi par un maçon, la fissure dans un mur.  Ses croquis Jeanne Laganne les travaille, les complète, les assemble, notes les couleurs envisagées. Plusieurs centaines ont ainsi pu être conservées. Les couleurs utilisées sont le vert de gris clair ou foncé, le sienne, l’ocre, le blanc, le noir. Elles sont mates sauf pour le noir, toujours brillant. C’est le début de l’utilisation de l’acrylique. Jeanne Laganne peint la toile posée par terre dans son atelier en raison de la taille de ses œuvres et du caractère liquide de l’acrylique.

De 1955 à 1960 c’est la montée en puissance, de 1960 à 1966 c’est l’apothéose de Jeanne Laganne et des peintres abstrait des écoles lyriques, tachistes ou informelles. Laganne est à la jonction de ces courants. Georges Piellex, écrivain, journaliste et critique d’art suisse écrit à l’occasion d’une exposition de Laganne à Lausanne en 1962, à la galerie Kasper : « La matière est rugueuse et mêle à la pâte de très petits fragments minéraux pour accentuer le relief. Enfin sur de larges étendues aux colorations brunâtres qui rappellent un peu les texturologies de Jean Dubuffet, des coulées de couleur pure (rouges éclatants) tracent leurs sillons selon l’esprit du plus pur tachisme. On s’en rend compte, deux tendances au moins s’affrontent dans cette peinture et finissent par s’associer fort harmonieusement…… Si l’artiste part de prémices qui font penser à Dubuffet, elle aboutit à des résultats opposés. Les effets volontairement ternes et monocordes de l’homme des matériologies font place ici à une séduction que nous dirons bien féminine. Contraste entre les terres neutres et les éclats des couleurs vives, brillance de la couleur qui parfois n’hésite pas au plaisir de s’abandonner a un certain lyrisme. »

1960 c’est aussi l’acte de naissance de nouvelles écoles artistique, de nouvelles concurrences pour les abstraits : le nouveau réalisme avec Klein, César, Niki de Saint Phalle, Arman, son pendant américain le Pop’Art, l’Op’Art aussi qui, sous ce nouveau nom, n’est que la poursuite de l’abstraction géométrique.

En 1967 Michel Tapié et Rodolphe Stadler organisent une exposition sur le thème : « Devenir de l’abstraction » : 21 peintres et sculpteurs parmi lesquels Laganne, Piaubert et Tapies. La révolution s’est assagie, les révolutionnaires en prenant le pouvoir sont devenus des classiques, des institutionnels et d’autres révolutionnaires, comme les tenants de l’art corporel auquel Stadler sera sensible, d’autres écoles les bousculent.
Laganne reste fidèle à l’abstraction mais son style continue d’évoluer : Les couleurs sont moins austères, l’acrylique n’est plus mate, les formes se complexifient et la matière est toujours présente.
La production reste soutenue.

Au début des années 70 Jeanne Laganne prend un dernier virage, quitte le quartier latin et la rue de Seine et travaille désormais rive droite avec la Galerie de l’Université à deux pas de Champs Elysées ainsi qu’avec la Galerie Pierre Lescot, située près du centre Beaubourg. Les critiques d’art du journal Combat la suivent dans cette traversée de la Seine. En 1972 Joël Derval, qui avec François Pluchard
est l’un des deux critiques d’art du quotidien d’Albert Camus, publie un article intitulé « L’ascension de Jeanne Laganne » : « Ceux qui suivent l’évolution de la peinture de Jeanne Laganne depuis ses premières expositions chez Stadler éprouverons une grande satisfaction en visitant son exposition de peintures récentes qui se tient en ce moment à la Galerie de l’Université, dont on sait qu’elle a changé d’adresse depuis plusieurs mois et qu’elle s’est installée dans de très beaux locaux à proximité des Champs Elysées. Jeanne Laganne occupe une place intéressante dans l’abstraction dont elle n’a jamais épousé aucune des querelles et à l’égard de laquelle elle a toujours conservé une totale liberté d’esprit, c'est-à-dire qu’elle a toujours cherché à établir une voie intermédiaires entre la rigueur froide de l’abstraction géométrique et la violence expressive de l’abstraction lyrique.
L’abstraction de Jeanne Laganne procède d’une vérité interne, réflexive et méditative et qui s’appuie sur une profonde connaissance du monde et une grande gourmandise à l’égard des choses de la vie.
Peinture intelligente, la peinture de Jeanne Laganne n’est pas pour autant une peinture intellectuelle, théorique, desséchée par les bonnes raisons. C’est au contraire une peinture qui s’appuie sur les réalités de l’expérience individuelle, sur la manière d’appréhender la condition humaine, sur les pulsions intenses de l’individu.
Cette peinture qui s’exprime en toute liberté avec des couleurs chatoyantes, des formes ouvertes et séduisantes, ce qui n’exclut pas une composition rigoureuse, s’est donné pour tache de révéler les subtilités et les contradictions de l’univers apparent et caché. Ce besoin d’aller au fond des choses donne à la peinture de Jeanne Laganne sa facture inimitable.
Toutes les qualités qui bientôt depuis quinze ans ont fait le succès de la peinture de Jeanne Laganne se trouvent aujourd’hui dans son exposition de la galerie de l’Université qui constitue une leçon de peinture et une grande joie pour l’esprit. ».
Trois expositions auront ainsi lieu à la Galerie de L’Université en 1972, 1976 et 1980.

En 1971 Laganne se livre à une expérience intéressante et travaille avec un jeune peintre plein de talent : Cyril Abauzit. Cela aboutira à l’exposition d’une toile réalisée en commun au Salon Comparaisons.

Autre expérience qui date à peu près de cette époque : la lithographie avec une dizaine de tirages qui, comme ses gravures vingt ans plus tôt, sont pour la plus part non signées et non numérotées !

La reconnaissance des années 50-60 comme période clé de l’histoire de l’art intervient en 1981 avec l’exposition PARIS-PARIS au centre Georges Pompidou.

En Mars 85 le mensuel BEAUX ARTS publie un numéro spécial sur « La peinture des années 50 » dans lequel Gérard Xuriguéra fait une longue rétrospective des artistes, galeries et critiques clé de cette époque marquée par ce qu’il appelle la victoire abstraite et cite Laganne et « ses stèles baroques semées de matière », Michel Tapié, « auteur d’un « ART AUTRE » en 1952, véritable manifeste », les galeries Facchetti et Stadler.
 
Au soir de sa vie Jeanne Laganne continue de peindre, de créer, d’exposer : 1988 et 1990 seront ses deux dernières expositions, chez une amie très chère, Michèle Coche, à la galerie Pierre Lescot. Il s’agit d’une semi  rétrospectives, d’un mélange d’œuvre des années 60 puis 70 et d’œuvres contemporaines. Le succès est à nouveau au rendez vous comme le montre la correspondance échangée avec la Galerie qui indique le volume des ventes, les prix, la nature des acheteurs : particuliers, Etat, collectionneur australien habitant  Hong-Kong
Jeanne Laganne s’éteint à 95 ans, dans son atelier, laissant une œuvre immense qui couvre tout le XXème siècle. 

 


 

 



Liens

Musée d'Art Moderne

Ses collections, riches de plus de 8000 oeuvres illustrent différents courants de l'art du XXème siècle

 

FNAC

Le Fonds national d'art contemporain (Fnac) détient 3 oeuvres de Jeanne Laganne

 

Artprice

Leader mondial de l'information sur le marché de l'art.

 

Arnet

Find works of art, auction results & sale prices of artist Jeanne Baptistine Laganne at galleries and auctions worldwide.